L’ Elliotisme, une illusion

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Le texte qui suit n’a pas vocation à critiquer les adeptes des vagues d’EllIiott ; chacun trouvera une méthode pour suivre le marché, y entrer, en sortir. Si des traders trouvent réussite dans le décompte des vagues, ma foi, tant mieux pour eux. Je veux attirer l’attention sur le fait que l’analyse technique, et particulièrement l’Elliotisme, n’a aucun caractère prédictif (sauf à prendre en considération une caractéristique auto prédictive). L’Elliotisme a une ambition qu’elle ne pourra jamais atteindre, et pour cause.

Situons le décor et parlons de trois personnages.
Les années 1920, 1930 aux États-Unis sont pour leurs contemporains d’un engouement riche en quêtes spirituelles, philosophiques ; dans les salons à la mode on parle égyptologie, théorie de l’évolution, romans de science fiction, spiritisme. Des mouvements d’une certaine pensée ont pris racine à cette période, pour devenir plus tard « New Age » et courant hippies des années 70.


Dans ce bouillon diffus, un homme émerge : Manly Palmer Hall. Cet homme, notoirement hypnotiseur, connu pour ses recherches sur la spiritualité et la sagesse universelle, a une passion pour les lectures ésotériques ; il constituera d’ailleurs l’une des plus grande collection de livres sur l’alchimie. Il écrit également à pléthore d’ouvrages consacrés à la Franc Maçonnerie, aux sociétés secrètes, l’occultisme, l’astrologie, la magie noire. L’un de ses ouvrage les plus fameux est « Secret Teachings of All Ages”. Manly P. Hall possède une autre caractéristique, il est doté d’un charisme hors norme, impressionnant les gens qui croisent son chemin, hommes politiques, vedettes de cinéma.


Parlons maintenant de Ralph Nelson Elliott (1871-1948). Lorsqu’il entreprit de développer, de structurer ce qu’il avait observé de façon empirique sur les marchés, Elliott, était un homme malade, sans profession, diminué par une infection parasitaire contracté au Guatemala alors qu’il y était télégraphiste. Il remarquait que les émotions humaines étaient rythmiques, qu’elles évoluaient en un certain nombre de vagues et directions définies. Il observa ce même phénomène sur les marchés financiers où la participation humaine aux mouvements des prix est étendue. Intuitivement il imagina que ces mouvements répétitifs, apparemment ordonnés, étaient construits par une “force” immanente. La lecture de “Secret Teachings of All Ages”, ses échanges et sa rencontre avec Manly P.Hall, lui permit de donner corps à son intuition.


Troisième personnage ayant certainement influencé Elliott à développer sa théorie : D’Arcy Wentworth Thompson. Un biomathématicien (1860-1948) auteur notamment de “On Growth and Form”. D’ Arcy Thompson développe l’idée d’après laquelle la nature s’accroît, se déforme sur la base d’un modèle précis. Les formes de la nature deviennent alors des objets de la mathématique. Il déclare ainsi que « les vagues de l’océan, les vaguelettes qui viennent mourir sur le sable, la courbe harmonieuse d’une baie, la ligne des collines sur l’horizon, la forme des nuages, tous ces phénomènes sont autant d’énigmes dans le domaine de la forme, autant de problèmes dans le domaine de la morphologie. Pour tous ces problèmes, le physicien dispose des éléments nécessaires qui lui permettent de les décrypter et de les résoudre avec plus ou moins de facilité : il lui suffit de se référer aux antécédents de ces phénomènes, au sein du système matériel de forces mécaniques auquel ils appartiennent et d’où ils tirent leur origine ». Emprunt de déterminisme physique, l’expression mathématique de la nature que D’Arcy Thompson étudie, peut se retrouver en partie dans les suites de Fibonnacci.


Ainsi, c’est sous l’influence de ces idées, qu’ Elliott établit que les cycles des marchés sont issus d’une loi “fondamentale”, une loi transcriptible mathématiquement qui ordonne notre univers. Il organise les cycles des marchés de la façon que vous connaissez, et publie “Nature’s Law – The Secret of the Universe,”. Ainsi naquit la théorie d’Elliott.

Comme pour donner raison à cet étonnant cheminement intellectuel, quelques années plus tard, en 1975, Benoït Mandelbrot invente l’équation fractale dans laquelle on retrouve une “propriété” de la suite de Fibonnaccci (la suite de Fibonnacci est périodique, ce qui permet la construction d’une matrice creuse dont les propriétés sont à la fois fractales et holonomiques). Les fractales sont aujourd’hui souvent agitées par les tenants de la théorie d’Elliot comme la preuve de l’existence de ces fameux “cycles emboîtés” de la théorie d’Elliott.


Ne perdons pas de vue que l’équation fractale est un pure produit mathématique. Ainsi, certains mêlant rapidement équation de Mandelbrot, bio mathématique, cycles des marchés financiers, concluent trop rapidement que ces marchés dans leur évolution possèdent une dimension fractale. Si séduisante soit cette hypothèse elle n’en n’est pas moins erronée.
Le seul point que l’on puisse concéder est de trouver des titres »fractalisables ». Edgar Peters ( Peters Chaos and order in the capital markets, John Wiley, 1990 ) par exemple a calculé ( sur des données mensuelles de 1950 à 1988 ) que la dimension fractale était de 1,28 pour le S&P 500, 1,39 pour IBM, 1,43 pour Coca-Cola. Les études sur le marché de Paris sont plus rares, on a néanmoins calculé que la dimension fractale du CAC 240 est de 1,35. (proche de 1, dimension fractale ; proche de 2, mouvement brownien). Ce qui vaut pour quelques indices ou titres ne vaut pas pour les milliers d’autres qui composent les marchés. A une très très grande majorité, la dimension fractale ne s’applique pas. Il ne s’agit dans ces rares cas que de pure coïncidence.

La base même de l’Elliotisme repose sur un désir humain d’explication à toute chose : « – The Secret of the Universe, »… Si séduisant cela soit, penser que les courbes d’un indice reposent sur des cycles dont l’existence relève d’une loi mathématique universelle ne tient pas. D’ailleurs le déterminisme sous jacent à cette hypothèse est depuis battu en brèche par les avancés mathématiques et physiques récentes.

Construire cette « théorie » avec quelques bouts de fractales, une dose de bio mathématique, saupoudrés d’un grand empirisme au relent métaphysique ne tient pas la route pour un esprit critique. Et tient encore moins la route face aux études réalisés.

Que cette théorie repose ou non sur une quelconque véracité, cela n’a peut-être pas d’importance, pourvu que ceux qui l’utilisent s’en servent comme repère pour entrer et sortir du marché. Mais dans cette perspective, accordons qu’il existe beaucoup plus simple que l’Elliotisme et ses décomptes interminables de vagues.